Tradition
S'il est bien un mot qui est servi à toutes les sauces, c'est le mot tradition. Mot que nous écrirons pour
l'instant avec un "t" minuscule pour le distinguer du mot "Tradition".
Il y a plusieurs acceptions du terme tradition
- C'est de la mémoire, un patrimoine dont on hérite.
- C'est un contenu qui circule sans altération.
- C'est un savoir faire qui est enseigné de générations en générations.
- C'est une "qualité" , un "pouvoir" qui se transmet de façon ininterrompue.
- C'est un ensemble d'habitudes, de comportements, d'usages qui passent, selon des canaux privilégiés.
- C'est une histoire, un mythe qui est "dit", de nuits en nuits.
Bref de multiples sens au mot tradition qui parfois se recoupent et parfois s'éloignent.
Sous l'impulsion d'auteurs comme Julius Evola ou René Guénon se sont développées au siècle dernier
des théories radicales sur la tradition. Pour ces auteurs les mots tradition et modernisme sont
antithétiques; La tradition exclu le modernisme qui à l'inverse est ennemi de la tradition.
La tradition était pour Guénon une sorte d'entité "métaphysique" qui ne pouvait se transmettre
que dans un cadre précis et ininterrompu. A noter chez ce dernier un certain nombre de paradoxes.
A la fois chantre d'une tradition hyperboréenne et converti à l'Islam, un partisan d'un retour aux
racines "pures" de la tradition occidentale qui propose en même temps de voir dans la tradition
tibétaine un des derniers rejetons de la tradition primordiale. La tradition au sens Guénonien
est "une connaissance s’écoulant à travers les générations, depuis des temps immémoriaux,
connaissance invariable quant à son fond et toujours renouvelée quant à ses formes" Mais
nous y reviendrons plus tard. Ce qui nous semble important de définir c'est ce que nous
entendons nous, "druidisants", par Tradition.
Commençons par dire ce qu'elle n'est pas. Selon Guénon, il y a une différence entre Tradition et coutumes,
usages, habitudes. La première est atemporelle tandis que les autres sont liées à l'histoire, au temps.
Issus de l'évènementiel , plutôt que de l'essentiel. Pourtant… Pourtant… La plupart des sociétés initiatiques
véhiculent un ensemble de coutumes, d'usages, d'habitudes qui sont souvent d'ailleurs des éléments de
reconnaissance entre membre d'une même société. Des comportements en société, des attitudes corporelles,
des habitudes de langage ou de pensée font que souvent les gens appartenant à une même société se reconnaissent
entre eux, indépendamment d'éventuels signes et attouchements. Il s'agirait plutôt d'une sorte d'osmose
qui s'établirait entre des gens qui ont l'habitude de travailler sur un certain mode et le groupe auquel
ils appartiennent. Alors la Tradition n'est pas la coutume, pourtant, les coutumes des gens de tradition
se ressemblent. Bien plus, la tradition orale opposée à la tradition du livre est justement celle qui
selon ses partisans leur permet d'interpréter de façon juste les textes sacrés. Au fond c'est comme s'il
y a avait d'un coté une Tradition essentielle et de l'autre un ensemble de coutumes, d'habitudes, exégèse
et interprétations qui permette de l'actualiser. Ceci est valable pour les traditions du livre, dont il
faut écarter la Tradition Druidique qui paradoxalement ne peut pas être écrite. Il n'y a pas ou peu
d'écrits druidiques, les seuls qui existent sont le fait d'auteurs extérieurs au druidisme. Soit des
observateurs extérieurs, soit des compilateurs tardifs souvent imprégnés de culture chrétienne.
Aborder le druidisme du point de vue de la tradition et de l'histoire ressemble a une enquête policière.
Il y a des indices, des témoins (parfois à charge) qui ne savent pas toujours très bien de quoi ils
parlent et le corps du délit. C'est à dire une survivance druidique qui se présente sous des formes
disparates. Comme si le corps de la "victime" avait été dépouillé, découpé et dispersé aux quatre
vents et qu'il nous fallait le reconstituer.
Nous sommes quelques uns à considérer que l'accès à la Tradition passe par ces tentatives parfois maladroites,
parfois hasardeuses mais parfois aussi inspirées de renouer avec une histoire oubliée. Certains fonctionnent
même comme ces "profilers" qui s'imprègnent des ambiances, des lieux, des profils psychologiques des "peuples
premiers" pour reconstituer une histoire. Reconstitution souvent étonnante d'ailleurs.
Mais au fond la question n'est pas là. Et l'histoire qui se reconstitue alors est toujours
celle d'une interprétation à un moment donné d'une réalité spirituelle.
La tradition est aussi parfois celle qui consiste à transmettre un savoir faire. C'est la tradition
opérative des compagnons bâtisseurs, celle des pédauques,( dont le signe distinctif ressemble à un
tribann ou parfois à la rune germanique Algiz) celle des bardes aussi. Ces bardes qui transmettent
à la fois une histoire et une façon traditionnelle de la raconter. Il y a donc à la fois une mémoire
et une façon de la transmettre. Nous aurons encore l'occasion d'évoquer ce double aspect.
D'où vient cette tradition, ce savoir faire ?
Quoiqu'il en soit , nous pensons que pour parler de transmission traditionnelle il faut d'une part que
le contenu transmis soit "validé" et que d'autres part les vecteurs, la façon de transmettre soient également
traditionnels. A ce titre nous pensons que le compagnonnage véhicule encore de nos jours une tradition
opérative. Ce qui fait des compagnons des "ouvriers" tout à fait à part dans notre société moderne où
les fonctions, les tâches sont éclatées à l'extrême jusqu'à perdre leur sens. Pour autant, même en
présence d'une tradition reconnue, y a t'il transmission de la Tradition ?
Nous entrons là dans le domaine spirituel avec tous les risques de ne pas être compris. Nous avons vu
que la transmission traditionnelle reposait sur deux éléments. Un contenu, une façon de transmettre.
Cela suffit il à transmettre la Tradition. Même sans être Guénonien, nous le rejoignons sur un point.
La Tradition peut se parer de nombreuses formes mais elle persiste dans son essence. Il y a plusieurs
modes d'interprétation de ceci. Certains, la majorité ? voient dans la Tradition une sorte de pouvoir
intangible qui se transmettrait d'initié à initié sans jamais faillir. A condition ( et nous verrons
ce que nous pouvons en penser ) qu'il n'y ait pas de hiatus dans la chaîne de transmission.
D'où l'attachement névrotique de certains pour les chartes, filiations et autres diplômes et
reconnaissances qui se mettent à briller d'un éclat nouveau comme s'ils prenaient valeur de relique.
Paradoxe encore lorsqu'on étudie le druidisme que de considérer un simple morceau de papier comme une
relique sainte à laquelle serait attaché une sorte de pouvoir, de "mana" particulier; Mais au fond la
vraie question est, si l'on excepte la transmission de ce pouvoir réel ou supposé qu'est ce qui est
transmis ? Une connaissance ? Un savoir faire ? Une tradition ? Hélas, souvent, comme c'est le cas pour
certains grades de sociétés initiatiques qui eurent la faveur de Guénon. Il n'y a plus de savoir faire,
plus de connaissance, même plus de "savoir être" attaché à des titres souvent ronflant. Alors transmission
ou illusion ? Ce que nous observons souvent en revanche c'est qu'il y a une certaine proportionnalité
inverse entre les titres et filiations déclarées et les connaissances manifestées. Peut être parceque,
dira-t'on, les choses sont si subtiles qu'elles en viennent à être intangibles. Mais revenons à notre propos.
S'il existe une transmission Traditionnelle elle passe probablement par le mythe et le symbole. Parce
que mythes et symboles réunissent ce qui est épars, c'est à dire une connaissance intérieure et une
manifestation extérieure. Ils sont un pont jeté entre l'autre Monde ( Sidh) et ce monde ci . Et
qu'est ce pont si ce n'est justement l'objet de l'initiation Traditionnelle. La transmission Traditionnelle
c'est la transmission selon un schéma traditionnel d'un ensemble de mythes et de symboles. Cette
transmission s'accompagne de la transmission d'un savoir faire, c'est à dire, d' une invitation à vérifier,
à vivifier, à actualiser cette Tradition.
La Tradition initiatique est une Tradition vivante qui doit opérer une transformation réelle sur les
individus. Transformation dans leur savoir faire et dans leur savoir être. Pour être réellement
Traditionnelle, le mode de transmission doit lui aussi être traditionnel. Dans le cadre du Druidisme
Le mythe et les symboles nous ont été transmis pour l'essentiel, quoique altérés. Le travail qu'ont
à mener les druides est celui qui consiste à reprendre contact avec les sources vives de la Tradition
pour les actualiser. La spiritualité druidique n'est pas une affaire d'antiquaire ou de muséographe.
Les connaissances que l'on peut qualifier de druidiques ont été perdues pour l'essentiel. Pour ce que
l'on peut en savoir, les Druides étaient des philosophes polytechniciens, à l'image de Lug. On peut à juste
titre considérer que la connaissance des druides porte sur l'ensemble des disciplines enseignées dans
l'antiquité, dans la scission artificielle opérée par le modernisme entre les différentes disciplines.
Plutôt que d'opter pour une spécialisation à la sauce moderne peut être faudra t'il, pour les druides
au moins opter au contraire pour une intégration. Quelques sociétés druidiques proposent d'ailleurs
que le Druide soit à la fois Barde et Ovate ce qui est le symbole de sa plurivalence. Les méthodes d'enseignement
ont été perdues. Subsistent quelques pistes. Des études, longues, absence d'écriture. Il
est probable que ces quelques faits nous orientent vers un enseignement accompagné, comme peut
l'être l'apprentissage. Une méthode à la fois pratique, spéculative et personnalisée. Car l'élève
d'une société initiatique n'est pas seulement un individu qui travail sur l'objet (l'objet de son savoir)
mais aussi sur lui même. La démarche initiatique est aussi une démarche d'individuation et le druidisant
qui actualise une connaissance druidique travaille également sur lui même.
Il serait mal venu de considérer l'absence (volontaire) d'écriture concernant la chose sacrée
comme un simple tabou. A notre avis il y avait une raison profonde, essentielle à cette prescription
"extrêmement" dangereuse d'un point de vue de la simple fonctionnalité. Peut être les Druides pensaient-ils
que l'essentiel était non pas incommunicable, mais vivant, pour ne pas dire actualisable. En ceci les mythes
et symboles sont vivants. Ce sont les interprétations de ces mythes et de ces symboles qui peuvent être tracés
dans le marbre. Et ce sont justement ces traces que les druides ont essayé d'éviter. Et que faisons nous
lorsque nous voulons figer la Tradition dans une acception particulière à un temps et un milieu ?
Serions-nous moins sages qu'eux ?
"Article paru sur le Druid network"